
La Suisse a recouru contre la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui avait reconnu la liberté d’expression, droit fondamental, du Dr. Perinçek dans la controverse du “génocide arménien”.
Le recours du Département fédéral de justice et police, aberrant tant au niveau du droit que de la logique, s’explique en grande partie par la pression inouïe exercée par le lobby arménien, dans le cadre d’une campagne internationale menée depuis plusieurs semaines.
La communauté turque de Suisse a décidé de ne pas rester silencieuse devant la désinformation, en publiant l’article paru en pleine page dans Le Temps du 13 mars 2014, en page 9. Nous reproduisons cet article ci-dessous. Notre texte a également trouvé un écho dans Le Temps du 20 mars 2014.
Notre article a été aussi publié en allemand à nouveau en pleine page dans la NZZ du 14 mars 2014, à la page 14.
An English version of our Communiqués is also available HERE.
Pourquoi faut-il accepter la décision de la Cour européenne des droites de l’Homme et respecter la liberté d’expression dans le différend entre l’Arménie et la Turquie ?
Dans son arrêt du 17 décembre 2013 (an English version of the judgement is available HERE), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), à Strasbourg, affirme que contester le qualificatif de “génocide” pour les affrontements survenus en 1915 dans l’Empire ottoman entre Arméniens et Turcs n’est pas un délit.
Elle accepte par conséquent le recours du Dr. Dogu Perinçek qui, suite à une plainte issue d’organisations nationalistes arméniennes, avait été condamné en 2007 par le Tribunal de police de Lausanne, puis le Tribunal fédéral, pour avoir dénoncé comme “mensonge international” l’utilisation du terme de “génocide” pour qualifier les événements survenus, il y a près d’un siècle, lors de la Première Guerre mondiale.
La décision du 17 décembre 2013 nous a doublement touchés. Nous nous sommes d’une part sentis blessés en tant que Suisses par la condamnation de notre pays par une Cour internationale vouée au respect des droits de l’homme, tout en saluant, d’autre part, en tant que citoyens originaires de Turquie, la sécurité du droit apportée par la Cour européenne en réservant clairement le terme de génocide aux actes reconnus universellement comme tels par suite de la décision d’un tribunal international régulièrement constitué.
L’aspect le plus satisfaisant de la décision du 17 décembre est qu’elle permet le débat et la recherche sur des événements largement controversés, comme l’admet la Cour elle-même.
Les juges de Strasbourg ont également souligné que le Dr. Dogu Perinçek reconnaissait les souffrances subies par les Arméniens et que ses propos ne comportaient pas de message haineux ou raciste, n’attaquaient en rien la dignité humaine ni ne constituaient une menace pour l’ordre public.
Depuis quelques semaines, les porteurs des thèses arméniennes se sont livrés, notamment depuis l’étranger, à un lobbying intense auprès du Conseil fédéral, et particulièrement de Madame Simonetta Sommaruga et Monsieur Didier Burkhalter, pour que le gouvernement suisse recoure contre la décision de la CEDH, avant la date ultime du 18 mars prochain. Leur argumentation consiste à dévoyer la décision de la CEDH qu’ils qualifient de “scélérate”, dans la mesure où celle-ci contrecarre les objectifs du lobby arménien. Or, faut-il le rappeler encore une fois, le jugement porte sur la liberté d’expression du Dr. Perinçek.
Par ailleurs, la décision de la CEDH montre que le mot “génocide” ne doit pas être galvaudé. Il s’agit d’un terme juridique aux contours définis de façon très précise par la Convention de l’ONU de 1948 sur la prévention et la pénalisation du crime de génocide. Or, pour les événements de 1915, la CEDH a jugé qu’aucun consensus, même universitaire, n’existe au sujet d’un “génocide”. Si la grande majorité des historiens spécialisés dans l’étude de l’Empire ottoman contestent le qualificatif de “génocide”, d’autres chercheurs poursuivent encore de sérieux débats et il n’est pas évident qu’une conclusion finale ou que la vérité objective et absolue ressortent de ces débats dans un proche avenir.
C’est la raison pour laquelle nous appelons de tous nos vœux la mise en place d’une commission d’historiens spécialistes de cette époque, comme stipulé dans les Protocoles de Zurich de 2009, signés entre la Turquie et l’Arménie sous les auspices du gouvernement suisse et suite notamment aux efforts remarquables de Madame Micheline Calmy-Rey. L’ouverture de toutes les archives et les travaux de ces scientifiques doivent faire toute la lumière. Les Turcs n’ont pas peur de la vérité, mais ils la veulent complète.
Or, des militants issus de la diaspora arménienne s’opposent violemment à toute perspective de recherche historique. Ils cherchent plutôt à établir la “vérité historique” par le biais de la politique, avec un lobbying soutenu ciblant les politiciens, notamment en période électorale. Une vingtaine de parlements ainsi manipulés ont, par la suite, voté des résolutions ou des lois déclaratives de reconnaissance du “génocide arménien”. Nous pensons pour notre part, avec d’illustres historiens ou juristes, qu’il n’appartient pas aux politiques d’écrire l’Histoire, ils n’en ont d’ailleurs pas la compétence.
Publier par voie d’annonce une liste de noms cautionnant une thèse ne sert à rien et n’impressionne personne. Chacune des parties peut le faire, et c’est une surenchère improductive. C’est le cas de l’annonce publiée ces jours-ci en Suisse par une organisation pompeusement appelée “The International Institute for Genocide and Human Rights Studies”, qui est en fait une officine du Zoryan Institute, organisation arménienne installée au Canada.
Ce qu’il faut, c’est un débat scientifique, donc contradictoire, au sein d’une commission de spécialistes de l’Empire ottoman et de la Première Guerre mondiale, provenant de divers horizons: Arméniens, Turcs, Britanniques, Français, Américains, Russes,…
De même, instrumentaliser la déclaration d’une association se réclamant des droits de l’homme en Turquie, qui en fait n’engage que son président, connu pour sa proximité avec l’organisation terroriste PKK, et qui noircit outrageusement la Turquie, pour pousser la Suisse à faire recours, est vain, car tout ce qui est excessif est, comme on le sait, insignifiant.
Dans cette période d’intense pression sur Madame Sommaruga et le Département fédéral de justice et police, nous avons constaté avec regret que le Conseil Œcuménique des Églises a également été instrumentalisé et a introduit dans son interpellation du gouvernement suisse une “perspective chrétienne” pour lui demander de recourir contre la CEDH. Faut-il le rappeler, la Suisse est un Etat de droit et laïc, auquel nous sommes profondément attachés. Le jugement de la CEDH se situe strictement au niveau du droit. Dès lors, le recours à des arguments d’ordre religieux est proprement scandaleux. Nous estimons qu’il serait dangereux et irresponsable de dresser les communautés religieuses les unes contre les autres.
Par ailleurs, la stratégie de mise en parallèle des événements de 1915 avec la Shoah n’a pas de sens, comme cela ressort clairement du jugement de Strasbourg. De plus, elle est blessante pour les victimes des atrocités du nazisme. L’Holocauste est un génocide incontestable, reconnu par un tribunal ad hoc. Ce n’est en rien le cas pour ce qu’ont vécu les Arméniens en 1915. De plus, il faut rappeler ici que la vision arménienne de ces événements passe sous silence les quelque 530’000 Turcs, Kurdes et Circassiens et les 13-15’000 juifs ottomans et caucasiens exterminés par les milices arméniennes. Doit-on dénommer cela le génocide des Turcs par les Arméniens ?
Le peuple turc est ouvert et généreux. Il l’a montré tout au long de son histoire, accueillant par exemple les Juifs qui fuyaient l’Espagne et le Portugal à la fin du XVe siècle, ou le nazisme au XXe, les Polonais au XIXe ou encore aujourd’hui près d’un million d’hommes, femmes et enfants fuyant l’enfer qu’est devenue la Syrie. Il n’est pas riche, mais partage ce qu’il a. Il a, par le passé, connu, en silence et sans instrumentaliser sa souffrance, de grands malheurs comme la perte de 5,5 millions des siens, tués, déportés lors du calamiteux et interminable processus de chute de l’Empire ottoman et de la Première guerre mondiale. Les massacres subis par les Turcs ont souvent été cachés, camouflés, travestis, comme en témoigne par exemple Maurice Gehri, le courageux délégué suisse du CICR, qui a permis d’établir la vérité et de faire la lumière en 1921 sur les massacres d’ampleur et les opérations d’extermination auxquels se sont livrées les milices arméniennes.
Au prix d’innombrables souffrances et sacrifices, naît finalement, sous la conduite de Mustafa Kemal Atatürk, une République moderne, laïque, résolument tournée vers l’avenir et qui rejoint la famille des nations démocratiques. Sa reconnaissance internationale est proclamée par le Traité de Lausanne de 1923, dont la Suisse est dépositaire.
Le peuple turc comprend et partage les épreuves des autres peuples, et notamment compatit à celles vécues par les Arméniens il y a cent ans. Il récuse par contre le terme de génocide. Relevons que le débat sur le “génocide arménien” est parfaitement libre en Turquie, et on peut y affirmer qu’il s’agit là d’une vérité, sans risquer de se retrouver en prison, car cela fait partie de la liberté d’expression de tout un chacun. Et c’est précisément le respect de ce droit fondamental que la CEDH vient de rappeler dans son arrêt du 17 décembre 2013 concernant l’affaire Perinçek.
Tous ceux qui ont eu l’occasion de voyager en Turquie ont pu relever l’hospitalité ancrée dans les traditions de ce pays. La grande diversité ethnique qui constitue sa population est le reflet de la mosaïque de peuples et d’ethnies qui l’ont toujours composée. Il n’y a pas de racisme anti-arménien en Turquie, contrairement à ce que voudrait faire croire une certaine propagande, dans le but de servir ses desseins bien connus. Chaque année, des milliers d’Arméniens fuyant les conditions économiques et politiques désastreuses du régime d’Erevan, viennent chercher et trouver du travail en Turquie. Certains demandent même à acquérir la nationalité turque et à résider définitivement dans leur nouveau pays.
Nous pensons que le temps est venu de mettre fin à la perpétuation de la mémoire porteuse de haine. De pair avec une approche scientifique du passé, il faut transmettre aux générations futures autre chose que rancœurs et désirs de revanche.
Il ne faut pas menacer le vivre-ensemble harmonieux et la paix sociale qui sont des caractéristiques si précieuses de la Suisse, en important sur son sol des règlements de compte relatifs à un passé vieux d’un siècle et dans lequel elle n’est impliquée en aucune manière. On se souviendra néanmoins de la terrible vague d’attentats perpétrés par le groupe terroriste arménien ASALA, qui firent de nombreuses victimes, morts et blessés, dans les années 1980 en Suisse. A nos yeux, la décision de la CEDH a donné une opportunité sans précédent au Département fédéral de justice et police pour enfin extraire l’épine que constitue le conflit turco-arménien de 1915, une problématique exogène à la Suisse et qui a trop longtemps miné ses relations avec la Turquie.
Notre communauté, avec la plupart des Suisses, est également lasse de la stigmatisation latente qu’entretiennent les harcèlements judiciaires liberticides à répétition, le bâillonnement de son droit à l’expression ou encore l’édification d’un monument controversé au “génocide arménien”, source de tension et de discorde, dans le parc de l’Ariana au cœur de Genève, sous les fenêtres de l’ONU, dont on provoque inutilement l’ire et le mécontentement.
Pour toutes ces raisons, et également de par la mise en péril des relations de la Suisse avec un pays ami et un partenaire stratégique d’importance, et vu les lourdes responsabilités et conséquences inhérentes à cette affaire, nous pensons que le recours de Madame Sommaruga et du Département fédéral de justice et police contre la décision de la Cour européenne des droits de l’homme constitue une erreur fondamentale.
Ceci dit, nous prenons acte de cette décision de recourir, que nous ne pouvons que déplorer. Tout en soulignant notre immense déception et notre sentiment de profonde injustice, nous restons confiants dans les institutions démocratiques et sommes persuadés que le respect des libertés fondamentales, cher à la Cour européenne des droits de l’homme, sera reconnu, une fois de plus, par les juges de la Grande Chambre.
İsviçre’nin Dr. Doğu Perinçek’in 17.12.2013 tarihinde kazandığı davayı temyiz etme kararıyla ilgili basın duyurumuz sadece fransızca ve ingilizce mevcuttur.