La naissance de la Turquie moderne
La date du 19 mai 1919 marque le début de la guerre de libération nationale turque ; c’est un tournant décisif dans l’histoire de la Turquie comme nous l’avions déjà expliqué dans un article précèdent.
Ce jour-là, un jeune général ottoman, Mustafa Kemal, arrive à Samsun sur les rives de la mer Noire. L’homme, qui sera plus tard connu sous le nom de Mustafa Kemal Atatürk, débarque dans cette petite ville de la côte de la mer Noire, la ville de Samsun, à bord d’un vieux bateau à vapeur, le « Bandırma » .
A partir de cette date, les congrès des peuples ont été réunies dans différentes villes d’Anatolie pour organiser la résistance populaire. Mustafa Kemal avait compris dès le départ que la libération ne pouvait être organisée depuis le capital ottoman car Istanbul était occupé par les puissances impérialistes. Les préparatifs ont abouti par la proclamation de la Grande Assemblée Nationale le 23 avril 2020 à Ankara au centre d’Anatolie. Cette phase de préparation qui dura une année environ s’est déroulée de manière démocratique et a permis de rassembler tous les peuples d’Anatolie, notamment les Turcs, les Kurdes ainsi que les autres minorités chrétiennes, juives et autres sous le mot d’ordre « l’Indépendance ou la Mort ».
Ce processus démocratique fédératif de l’ensemble des peuples de l’Empire ottoman épris de paix, qui refusent l’hégémonie impérialiste occidentale, constitue les fondements de la création de la République de Turquie moderne et d’un nouvel État-nation libre au sein de la famille des nations actuelles.
Les Turcs étaient à l’origine du noyau fondateur de l’Empire ottoman dès la fin du 13ème siècle. Ils ont constitué la composante majeure de la guerre de libération avec l’appui des Kurdes et des minorités. Dès lors le mot « turc » ne désigne plus une ethnie mais l’ensemble des peuples qui ont fondé la République de Turquie et qui se sont fédérés autour de l’idéal de l’indépendance anti-impérialiste.
Ce principe est ancré dans la première constitution du pays ainsi que dans celles qui suivirent jusqu’à aujourd’hui.
Démembrement de l’Empire ottoman
L’Empire ottoman de l’époque avait été démantelé à la suite de la Première Guerre mondiale aux côtés des Allemands. Malgré sa victoire contre les alliés dans le détroit des Dardanelles, le gouvernement ottoman a dû signer l’armistice de Moudros avec les forces alliées, en espérant ainsi assurer sa propre existence, tout en cédant la quasi-totalité de ses territoires, à l’exception d’un petit cœur anatolien, à la Grande-Bretagne, l’Italie, la France et la Grèce. L’armistice de Moudros, conçu et pensé pour décimer la nation ottomane, est mis en œuvre étape par étape, l’insulte finale aux Ottomans étant l’invasion d’Izmir et l’avancée entachée d’atrocités de l’armée grecque en Anatolie. La résistance civile commence à se développer contre l’occupation, mais sans direction ni coordination.
Début de la Guerre d’Indépendance
Mustafa Kemal, dont la réputation publique et militaire avait été consolidée en tant que commandant militaire qui consacra la victoire ottomane à Gallipoli (la guerre du détroit des Dardanelles), se voit confier le poste d’Inspecteur général des armées ottomanes en Anatolie. Il quitta immédiatement Istanbul arrivant à Samsun le 19 mai 1919. Mustafa Kemal envoya son premier rapport au sultan ottoman le 22 mai, soulignant que les Turcs n’accepteraient pas la sujétion étrangère et qu’ils aspiraient à la souveraineté nationale. Cela marquait le début de la lutte de libération nationale. Se rendant compte que Samsun, déjà sous occupation britannique et entourée de forces irrégulières grecques, n’était plus sûre, Mustafa Kemal déplaça son état-major à Havza, à environ 85 km à l’intérieur des terres, le 25 mai.
C’est, une fois arrivé à Havza, que la mission historique d’Atatürk prendra un nouveau tournant. Il envoie des télégrammes aux organisations de résistance locales dans toute l’Anatolie pour qu’elles organisent des manifestations de masse afin de protester contre l’occupation étrangère et d’informer le public sur la gravité de la situation.
Des manifestations s’ensuivent dans tout le pays. Plusieurs grands généraux de l’armée ottomane et leurs troupes se joignent à Mustafa Kemal et signent la déclaration d’Amasya le 22 juin 1919, exprimant que l’unité du pays et la liberté du peuple étaient en danger, que le gouvernement d’Istanbul était inapte à sauver la nation et que « la liberté de la nation devait être sauvée par la persévérance et la volonté de la nation elle-même ». Cette déclaration contenait les premiers signes de la vision dont était animé d’Atatürk sur le principe de la souveraineté nationale et d’un futur régime démocratique pour le peuple turc.
Mustafa Kemal prend l’initiative de convoquer deux congrès nationaux avec des représentants de tout l’Empire à Erzurum et Sivas, suivis de la formation d’un parlement national à Ankara le 23 avril 1920. Il est élu commandant en chef et organise les forces ottomanes restantes, ainsi que les forces irrégulières sous le commandement central du gouvernement d’Ankara, créant ainsi une nouvelle armée qui finira par vaincre les forces d’occupation. La victoire du 30 août sera l’aboutissement d’une épopée militaire qui mènera à la souveraineté, rendant, de facto, caduque l’infâme traité de Sèvres issu de la Grande Guerre.
La signification historique du 19 mai
La guerre de libération turque a duré quatre ans, soit du 19 mai 1919 au 11 octobre 1922, et, par le traité de Paix de Lausanne le 24 juillet 1923 (dont nous avions célébré le centenaire en 2024 au Palais de Rumine), aboutira à la reconnaissance internationale des frontières de la Turquie et, in fine, à la fondation de la République de Turquie le 29 octobre 1923.
Par la suite, Atatürk déclarera le 19 mai jour férié national consacré à la jeunesse turque et au sport, comme on peut le constater à la lecture du discours d’Atatürk ci-après destiné à la jeunesse. Aujourd’hui encore, ce jour férié est toujours célébré avec enthousiasme en Turquie sous le nom de « Journée du souvenir d’Atatürk, de la jeunesse et du sport ».
Jeunesse Turque!
Ton premier devoir est de protéger et de sauvegarder éternellement l’indépendance turque et la République turque.C’est l’unique fondement de l’existence et de l’indépendance. Ce fondement est ton trésor le plus précieux. Même dans l’avenir, il y aura des personnes mal intentionnées internes et externes qui voudront te priver de ce trésor. Si un jour, tu es obligé de défendre l’indépendance et la république, tu ne penseras pas aux conditions et aux circonstances où tu te trouveras pour accomplir ta mission !
Ces conditions et ces circonstances peuvent se manifester à un moment inopportun. Les ennemis qui attenteront à ton indépendance et à ta république peuvent devenir les auteurs d’une victoire sans précédent dans le monde. Tous les arsenaux de la chère patrie peuvent être occupés par force ou par ruse, toutes ses armées défaites et tous les coins du pays effectivement occupés.
Le plus douloureux et le plus grave, c’est qu’à l’intérieur même du pays ceux qui détiennent le pouvoir peuvent être dans la mégarde, l’aberration et voire la trahison. Même ces détenteurs de pouvoir peuvent unir leurs intérêts aux aspirations politiques des envahisseurs. La nation peut tomber dans le besoin et la misère.
Enfant de l’avenir turc!Même dans ces conditions et circonstances, ton devoir est de sauvegarder l’indépendance et la République turque! La force dont tu auras besoin réside dans le noble sang qui coule dans tes veines ! »
Discours d’Atatürk à l’adresse de la jeunesse turque
Ankara, le 20 Octobre 1927
Le 19 mai est un lègue de la nouvelle république à la jeunesse turque, afin que celle-ci la perpétue, d’une façon digne, jusqu’à la fin des temps.