RÉFLEXION À L’OMBRE DES « RÉVERBÈRES DE LA MÉMOIRE » :
« GÉNOCIDE » OU « ETHOCIDE (*) ARMÉNIEN » ?
Tout comme nous, les Genevois ont appris avec consternation que les travaux pour ériger les « Réverbères de la mémoire », c’est-à-dire le monument pour le prétendu « génocide arménien », avaient commencé il y a plus d’un mois ; l’inauguration, initialement prévue le 24 avril 2009, est programmée pour demain.
Depuis le vote, en 2007, de la Motion M-759 du Conseil municipal à l’origine de ce monument, les règles élémentaires du débat démocratique ont été méprisées : le texte fut voté de nuit, par une poignée d’élus, preuve que les concepteurs n’avaient pas confiance en la véracité de leurs arguments ni dans leur propre capacité à le faire adopter au terme d’une discussion ouverte et sincère — d’autant qu’il n’existe, à ce jour, aucun monument commémoratif de la Shoah dans l’espace public genevois. Depuis plusieurs années aussi, c’est la confusion et la contradiction qui règnent : tantôt l’ethnocentrisme est assumé (« Monument pour le génocide arménien »), tantôt les défenseurs du projet nous assurent, par des propos lénifiants, que c’est un monument « Pour tous les crimes contre l’humanité ».
Après avoir échoué à installer leur monument dans la Vieille-Ville de Genève, après avoir été contraints de renoncer à le placer dans le parc de l’Ariana, les promoteurs insistent malgré tout, cette fois pour installer ces réverbères – composés de neuf pylônes métalliques de près de 10m – au parc de Trembley au Petit-Saconnex, qui serait ainsi défiguré. Au pays de la démocratie directe, les autorités tiennent pour rien l’avis des riverains, lesquels ont exprimé, de manière claire et répétée, leur opposition. De même, les travaux ont commencé avant de connaître la décision du Tribunal fédéral. Certes, le recours n’est pas suspensif, mais, en dehors d’un manque de respect flagrant envers les habitants et de la démocratie en général, les autorités genevoises qui ont donné l’ordre prennent un risque.
Cette prise de risque est d’autant plus incompréhensible que, par trois fois, les exigences des nationalistes arméniens ont fait condamner la Suisse à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), situation tout à fait inédite pour la Confédération helvétique, depuis son adhésion au protocole facultatif de la Convention européenne des droits de l’homme, celle qui autorise les simples citoyens à recourir à la CEDH.
En effet, dans sa décision Perinçek c. Suisse du 17 décembre 2013, la 2e Chambre de la CEDH a jugé (§ 116) : « Par ailleurs, la Cour estime, avec le requérant, le Dr. Doğu Perinçek, que le ‟génocide” est une notion de droit bien définie. […] La Cour n’est pas convaincue que le ‟consensus général” auquel se sont référés les tribunaux suisses pour justifier la condamnation du requérant puisse porter sur ces points de droit très spécifiques. ».
Cédant aux injonctions des groupuscules nationalistes arméniens, le Département fédéral de justice et police, sous la direction de Mme Simonetta Sommaruga, a déposé un recours sans espoir devant la Grande chambre (notre Fédération s’était d’ailleurs immédiatement associée à cette affaire en tant que tiers intervenant). Comme il fallait s’y attendre, dans sa décision du 15 octobre 2015, la Grande chambre a confirmé l’arrêt précédent : Doğu Perinçek « a pris part à une polémique ancienne [sur les évènements de 1915] dont la Cour a déjà reconnu […] qu’elle avait suscité de “vifs débats, non seulement en Turquie mais aussi dans la sphère internationale”. » (§ 231).
Enfin, par son arrêt Mercan et autres c. Suisse, du 27 novembre 2017, la CEDH a condamné, à l’unanimité, la Confédération helvétique dans un litige connexe à l’affaire Perinçek.
En démocratie, il n’appartient pas aux politiciens d’écrire l’histoire ; cette intrusion est l’apanage des régimes totalitaires. Il a fallu la double décision Perinçek c. Suisse pour commencer à faire accepter cette évidence à certains de nos élus en Suisse. »
Dans ces conditions, que signifie ce monument, sinon une volonté de vider de sa substance la jurisprudence de la CEDH (qui est désormais celle du Tribunal fédéral, le Dr. Perinçek ayant été défrayé), d’imposer l’autocensure et l’histoire officielle par des monuments inesthétiques et agressifs symbolisant l’hostilité entre les peuples, faute de pouvoir le faire par des condamnations pénales ?
Car oui, comme l’a dit trois fois la CEDH, comme l’a dit trois fois le Conseil constitutionnel français, il y a bien débat sur la tragédie turco-arménienne de 1915. De fait, l’unique enquête internationale, celle du procureur de Sa Majesté en Angleterre et aux Pays de Galle, contre 144 anciens dignitaires ottomans arrêtés en 1919 et 1920 puis internés à Malte, jusqu’en 1921, s’est soldée par l’échec le plus complet à trouver une preuve, même contre un seul des accusés, d’une quelconque implication dans les massacres d’Arméniens.
Le 24 août 1921, le juge Lindsay Smith écrivit au haut-commissaire britannique à Istanbul, pour réitérer un constat déjà fait à plusieurs reprises :
On ne voit pas bien, dans les dossiers, de quelles preuves disposent les autorités britanniques [contre les Turcs détenus à Malte], si elles en disposent, mais il est évident, en lisant la dépêche du procureur général, qu’à son avis, ce ne serait pas suffisant pour obtenir leur condamnation par une cour de justice. »
The National Archives, Londres-Kew Garden, FO 371/6504/E 10023
Après ce nouvel aveu d’échec, les derniers prisonniers ottomans ainsi innocentés furent libérés à l’automne 1921. Or, si des preuves d’une organisation gouvernementale des crimes avaient réellement existé, qui était mieux placé pour les trouver que la principale puissance ayant occupé Istanbul, de 1918 à 1923 ?
Outre cette absence de preuve d’une intention génocidaire, il faut souligner qu’il y eut des criminels de guerre dans chaque camp. Les deux enquêteurs, Emory Niles et Arthur Sutherland, diligentés par le gouvernement des États-Unis pour la partie la plus orientale de l’Anatolie, au lendemain de l’armistice de 1918, conclurent que, de Bitlis à Trabzon, « les Arméniens [de l’armée russe] commirent contre les Turcs tous les crimes et toutes les atrocités commises par des Turcs à l’encontre d’Arméniens » ; et que, toujours dans cette partie de la Turquie, « premièrement, des Arméniens ont massacré des musulmans en grand nombre, avec bien des raffinements de cruauté ; et, deuxièmement, les Arméniens sont responsables du plus grand nombre de destructions dans les villes et les villages .» (texte intégral du rapport).
De même, Maurice Gehri, délégué de la Croix rouge internationale dans la péninsule de Yalova (Anatolie occidentale) en 1921, c’est-à-dire pendant la guerre gréco-turque de 1919-1922, conclut que l’armée hellénique, aidée de ses volontaires grecs et arméniens procédait à « l’extermination » des Turcs de la région. (Maurice Gehri, « Mission d’enquête en Anatolie (12-22 mai 1921) », Revue internationale de la Croix rouge, 15 juillet 1921, pp. 721-735).
Autre source, la journaliste Noëlle Roger, également suisse, a tiré de son enquête sur place une description saisissante des crimes de guerre de l’armée grecque en Anatolie occidentale, et recueilli cet aveu d’un Turc à qui elle demandait pourquoi ces actes n’étaient pas mieux connus : « Nous ne savons pas faire de la propagande. » (Noëlle Roger, En Asie mineure, Paris, Fasquelle, 1930, pp. 208-218 ; citation p. 212). Dès lors, devons-nous regretter, rétrospectivement, notre répugnance à gémir en public ?
Un peu d’humilité ne ferait pas de mal aux promoteurs des « Réverbères de la mémoire » sachant également que quelques 518’000 civils Turcs, Kurdes, Circassiens (compilations des rapports étrangers et ottomans collectés sur les massacres perpétrés par les Arméniens — archives d’État de la Présidence de la République de Turquie, volumes 49 et 50) et les 10-13 000 Juifs d’Anatolie et du Caucase ont été massacrés par les milices révolutionnaires arméniennes ! Mais visiblement, ces victimes ne trouvent pas grâce aux yeux de nos autorités genevoises.
Cédant aux injonctions de groupuscules nationalistes arméniens et en sacrifiant une zone de verdure et de délassement à ses administrés, les habitants du Petit-Saconnex, pour la livrer aux zélotes d’une confrontation idéologique totalement étrangères aux intérêts des riverains, la Ville de Genève a pris le risque, en inaugurant ce monument, de cristalliser l’hostilité entre des peuples présents sur le sol suisse.
Il s’agit d’un acte extrêmement dangereux car il glorifie à posteriori le terrorisme arménien, celui des Commandos des justiciers du génocide arménien (CJGA) et de l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA).
Pour ne citer que quelques attentats perpétrés en Suisse : tentative d’assassinat contre l’ambassadeur de Turquie à Berne, le 6 février 1980 ; attentat à l’explosif contre le Palais de justice de Genève, le 4 novembre 1980 ; assassinat de Mehmet Yergüz, simple secrétaire du consulat turc de Genève, le 9 juin 1981 ; attentat à l’explosif à la gare Cornavin, le 22 juillet 1981 (un Suisse de vingt-deux ans tué) ; attentat contre l’usine d’allumettes de Nyon, le 12 janvier 1982, dans le but, heureusement raté, de provoquer un immense incendie, qui aurait dévasté en partie la commune. Nos autorités et les « Réverbères de la mémoire » seraient-ils atteints d’amnésie, elle aussi sélective ?
Cette instrumentalisation du passé a également servi à l’invasion, de 1992 à 1994, de l’Azerbaïdjan occidental par l’Arménie, et la purification ethnique qui l’a accompagné, notamment le massacre de Khodjaly (plus de six cents morts). Oubliant toute prudence, l’actuel président arménien, Serge Sarkissian, a revendiqué sa responsabilité et celle de ses hommes (il était alors officier) pour ces crimes contre l’humanité lors d’un entretien avec le journaliste britannique Thomas de Waal (cf. Thomas de Waal, Black Garden, New York-Londres, New York University Press, 2003, p. 172).
Cette récupération de l’Histoire par les instances politiques a récemment trouvé une fin en Suède qui subit également des pressions de la part des activistes arméniens : la Cour administrative suprême de Suède a entériné une décision de la Cour de Jönköping (décision N° 1559-16, datée du 4 avril 2017 – jugement original en suédois, traductions en français et en turc ), municipalité où un lobby voulait également y ériger un monument au « génocide ». Suite à l’opposition d’ONG turques, la Cour décida qu’aucune municipalité ne serait habilitée à ériger des monuments similaires au motif, entre autres, que cela ne concerne qu’une minorité de personnes et que les territoires des municipalités sont de lieux publics appartenant à tout le monde. Nos autorités et nos tribunaux ne devraient-ils pas s’inspirer de cette jurisprudence ?
Bref, ces Réverbères, censés nous éclairer, sont surtout l’expression d’une mémoire sélective, de déplorables « oublis » voulus et d’une volonté de nos autorités d’instrumentaliser et de récupérer, au profit d’un groupe de pression ethnocentrique, l’ignorance du public en général, et celle des Genevois en particulier.
On l’aura compris, l’action de la Ville de Genève s’inscrit bien dans ce qu’il convient d’appeler un « éthocide arménien » (éthocide : du grec ethos « la science morale » soit l’éthique, et du latin cida (« frapper, tuer ») !
Or,
(*) l’éthocide est un crime de conscience et sa sanction, si jugée par un tribunal compétent, est la disgrâce publique et la honte.
Et c’est de ce « crime » qu’est responsable la Ville de Genève.
Fédération des Associations Turques de Suisse Romande
Celâl Bayar
Président
12.04.2018