Ce sont près de deux cents personnes qui ont répondu à notre invitation (voir notre article précèdent et notre Newsletter du 5 juin 2018) à venir participer, le samedi 9 juin 2018, à 15h, à la Promenade de l’Observatoire à Genève, à une cérémonie de recueillement que nous voulions solennelle en hommage à Mehmet Savaş Yergüz, secrétaire du Consulat de Turquie à Genève, victime du terrorisme arménien, 37 ans plus tôt, jour pour jour.
En plus des agents de sécurité dont nous avions loué les services, les autorités genevoises et fédérales avaient dépêché sur place un important service de sécurité, question de palier à toutes provocations de la part d’activistes arméniens et de s’assurer du bon déroulement de cette cérémonie commémorative.
C’est sous un soleil radieux et dans une atmosphère sereine et digne que de nombreux diplomates et représentants de Turquie, d’Azerbaïdjan, des émissaires du Qatar, du Pakistan, du Kosovo et d’Albanie, des responsables du monde associatif venus parfois de fort loin, les médias turcs ainsi que les amis et membres de notre Fédération ont pris part à cet hommage.
Notre Président, Celâl Bayar, après avoir remercié les dignitaires et autres participants, donna une courte allocution sur le déroulement de la cérémonie. Celle-ci fut suivi par l’interprétation des hymnes nationaux suisse et turc puis par une minute de silence.
Dans son discours, Celâl Bayar, relatera les circonstances dans lesquelles se déroula l’assassinat de Mehmet Savaş Yergüz, à une dizaine de mètres seulement de la Promenade de l’Observatoire, à l’angle du boulevard Helvétique et de la rue Ferdinand-Holder, le 9 juin 1981. Il ajoutera “que l’on dit souvent que le terrorisme n’a pas de religion, ni d’ethnie ou de race. Mais, il y en a un qui s’est particulièrement distingué : le terrorisme arménien dont les origines remontent à la fin du XIXe siècle, pour imposer, par le sang, une lecture partisane de l’Histoire”. De 1973 à 1986, le terrorisme arménien contemporain sera responsable d’environ 200 attaques dans 21 pays et sur quatre continents, et fera près de 80 victimes et plusieurs centaines de blessés.
Hormis la Turquie, la Suisse fut le pays qui souffrit le plus de cette déferlante terroriste. On peut se poser la question de savoir pourquoi la Suisse fut le premier pays, après la Turquie, à avoir été la cible d’une telle campagne qui la visait comme tel.
Celâl Bayar l’expliquera par cette citation :
La clémence vis-à-vis de ces individus radicalisés dans leur enfermement génocidaire montre que l’on déteste les Turcs plus que l’on estime soi-même. »
En effet, on se souviendra que l’assassin de Mehmet Savaş Yergüz, Mardiros Jamkochyan, condamné à 15 ans de prison, fut libéré au bout de 10 ans, …alors que le procureur avait demandé la perpétuité ! En résumé, au-delà de la clémence, le laxisme judiciaire des autorités helvétiques nourrira chez les terroristes arméniens un sentiment d’impunité, favorisant ainsi la récidive et faisant de la Suisse un terrain de jeu idéal : de nos villes, Genève, fut particulièrement touchée dans sa chair, brutalement et à maintes reprises. La « mémoire des Genevois » — la vraie, celle qui n’est pas sélective et qui ne sert pas un lobby ethnocentrique par le biais de monuments commémoratifs — leur rappelle l’horreur de la terrible vague d’attentats arméniens qui a ébranlé la Cité de Calvin : bombes, morts, blessés, vengeances après arrestations des terroristes arméniens ; en tout, Genève, « Ville de Paix », sera secouée 10 fois en 4 ans, de 1978 à 1982 !
Si les Mardiros Jamkochyan et autres activistes arméniens, victime de leur “enfermement génocidaire”, pullulent encore aujourd’hui dans la diaspora, Celâl Bayar a également tenu à rendre hommage aux Arméniens de bonne foi: il citera Artin Penik, citoyen turc d’origine arménienne, qui s’est suicidé en s’immolant par le feu sur la place Taksim à Istanbul en signe de protestation suite à l’attentat du 7 août 1977 à l’aéroport Esenboğa d’Ankara (8 morts et 72 blessés) perpétré par l’ASALA, une organisation terroriste arménienne née de la scission de la Fédération révolutionnaire arménienne.
Il était important pour la Fédération que cette cérémonie solennelle soit aussi l’occasion de faire passer un message de paix et c’est en guise de conclusion que son Président prononcera ces quelques paroles:
Le peuple Turc a, par le passé, connu, en silence et sans instrumentaliser sa souffrance, de grands malheurs comme la perte de 5,5 millions des siens, tués, déportés lors du calamiteux et interminable processus de chute de l’Empire ottoman et de la Première guerre mondiale. Il connait sa souffrance et la souffrance des autres.
Parfois nous nous sommes combattus, parfois nous avons été alliés. Nous avons tous su dépasser ces événements et, depuis des décennies, nous participons ensemble, dans un esprit de fraternité et de réconciliation, à cette lutte incessante pour la paix.
J’ai parlé « d’enfermement génocidaire ». Pour y remédier, je pense qu’un dialogue franc mais courtois entre Turcs et Arméniens s’imposent. Car la paix est l’affaire de tous.
Cent ans après, le souvenir des épreuves endurées par nos deux peuples turc et arménien demeure vivant ; il est temps qu’il s’enrichisse de l’amitié, qui jadis unissait nos peuples au service de la paix. »
Puis, ce fut au tour de M. Mustafa Gencer, membre de notre Comité directeur, de s’exprimer au nom de l’Association Européenne des Anciens de Galatasaray en Suisse (AEDAG) en sa qualité d’ancien Président. Dans son allocution en turc, Mustafa Gencer rappellera que Mehmet Savaş Yergüz fut diplômé (en 1966) du prestigieux lycée français de Galatasaray d’Istanbul.
L’ironie du sort voudra qu’à quelques jours près, l’assassinat de Mehmet Savaş Yergüz coïncida avec la toute première fête du traditionnel “pilav” organisée par l’AEDAG en Suisse, une tradition chère à la communauté de Galatasaray, une occasion pour tous les membres du lycée de se retrouver et de s’échanger des souvenirs, des idées, s’entraider, etc. Mehmet Savaş Yergüz n’a pas pu participer à cette fête mais Mustafa Gencer rappellera, qu’aujourd’hui encore, à chaque fête du “pilav“, un hommage vibrant est rendu à la mémoire du défunt.
Quel était le sens de ce meurtre abject? Il ne fait aucun doute que ce crime nous rappelle, une fois de plus, la tumultueuse période de 1915.
Nous autres, voyons dans l’assassinat de Yergüz et le meurtre de nos 47 autres diplomates, la prolongation des massacres – orchestrés par les puissances dominantes de l’époque – que subirent les peuples d’Anatolie sacrifiés à l’instar des quelques 500 000 Turcs, Arabes, Kurdes et Juifs. »
Mustafa Gencer
Lors son intervention, en turc et en français, le Consul général de Turquie, Monsieur Mehmet Sait Uyanık, relatera les circonstances dans lesquelles Mehmet Savaş Yergüz, cet homme décrit par son épouse Esther comme étant « la personne la plus tolérante et respectueuse qu’elle n’ait jamais connue », a été la victime, à 39 ans, d’un acte terroriste fondé sur un motif purement raciste, laissant derrière lui une épouse et deux fils de 7 et 10 ans.
Le Consul général fera part d’un émouvant courrier électronique reçu quelques jours plus tôt d’une voisine de Mr. Yergüz de de la ville côtière de Fethiye, ville natale de la victime qui ayant pris connaissance de cette cérémonie tenait à nous faire part de ses sentiments :
Halide Yergüz, la maman de Mehmet, avait appris le décès de son cher fils le soir du 9 juin par un message diffusé en sous-titre sur la seule chaine de télévision, noir et blanc de l’époque.
Je me souviens qu’elle était sortie au balcon pour crier sa souffrance, en larmes. Madame Yergüz qui vivait seule est décédée très peu de temps après cet incident.
Tous les rêves, les espoirs ainsi que l’amour d’Esther sont restés inachevés. Ses deux fils étaient trop jeunes. Pendant longtemps, nous n’avons pas pu prononcer le mot « papa » à leurs côtés.
C’est très difficile d’exprimer ces sentiments avec des mots…. ».
Le Consul général de Turquie, Monsieur Mehmet Sait Uyanık, se fera également le porte-parole de la communauté turque de Genève très mécontente de l’érection récente du controversé monument arménien au parc Trembley par la Ville de Genève, ce d’autant plus qu’une procédure, déposée par les riverains soucieux de préserver leur parc, est toujours pendante devant le Tribunal fédéral, et de rappeler que :
La provocation à la haine entre les nations ne profite à personne.
La tâche d’établir la véracité des faits historiques devrait exclusivement appartenir aux historiens et il conviendrait aux politiciens locaux de ne pas déformer ces faits à des fins politiques, susceptibles d’approfondir la discorde entre les peuples turcs et arméniens. »
Mehmet Sait Uyanık, Consul général de Turquie
Enfin, Son Excellence Monsieur İlhan Saygılı, Ambassadeur de Turquie à Berne, rappellera dans son intervention en turc et en anglais que le souvenir des diplomates assassinés par le terrorisme arménien sera à jamais ancré dans notre mémoire. Il soulignera que, si le sacrifice de Mehmet Savaş Yergüz reste vivace dans notre mémoire et qu’il n’est pas possible de le faire revenir parmi nous, il est néanmoins de notre devoir de nous souvenir de sa mémoire d’une manière beaucoup plus pérenne et que des démarches auprès des services compétents devraient être entreprises dans ce sens.
S.E. İlhan Saygılı soulignera que la Turquie n’a pas peur de se confronter à son passé et rappellera que la proposition faite dans le cadre des Protocoles de Zurich signés en octobre 2010 par Ankara de mettre sur pied une commission indépendante d’historiens pour faire la lumière sur les événements survenu dans l’Empire ottoman en 1915 est toujours d’actualité. On se rappellera d’ailleurs qu’Ankara avait, dès 2005, invité l’Arménie à régler le différend historique par le biais d’une commission multipartite.
S.E. İlhan Saygılı se désolera de voir que, malgré les dernières jurisprudences – celles entre autres de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg concernant l’affaire Perinçek c. Suisse – le politicien se substitue encore à l’historien mais ne désespère pas de voir la vérité éclater au grand jour dans le futur. Aujourd’hui encore et particulièrement à Genève, certains milieux n’hésitent pas à manipuler l’Histoire et la douloureuse mémoire des évènements de 1915 dans le vil but d’assoir leurs aspirations politiques. De ce déplorable état d’esprit est né le monument arménien du parc Trembley, projet soutenu par certains politiciens locaux au grand dam de la communauté turques (ndlr : et des riverains du parc Trembley, soucieux de préserver un endroit qui leur est cher).
Les Turcs sont réconciliés avec leur passée et nous invitons les autres à en faire de même. Les Turcs n’ont pas peur de la vérité, mais ils la veulent complète. La question de 1915 n’est pas politique, elle est juridique. »
S.E. İlhan Saygılı, Ambassadeur de Turquie à Berne
Puis les dignitaires, dont S.E. Vaqif Sadıqov, Ambassadeur d’Azerbaidjan, et les participants furent invités à déposer des fleurs sous le portrait de Mehmet Savaş Yergüz; s’en suivi une distribution de boîtes de Lokoum spécialement confectionnées en mémoire de la victime. Une couronne sera également déposée à une dizaine de mètres de là, à l’angle du Boulevard Helvétique et Ferdinand-Hodler, endroit exacte où le 9 juin 1981 le terrorisme arménien faisait une énième victime innocente.
Cette cérémonie fut largement couverte par les médias en Turquie (dont, l’Agence de presse anatolienne – Anadolu Ajansi, en turc et en anglais, Son Dakika, Time Turk) et Actualité News en France ; malgré nos invitations à l’adresse de la presse helvétique, cette dernière, toujours prompte à s’emparer de sujets relatifs à la Turquie, préféra rester silencieuse.
La Fédération des Associations Turques de Suisse Romande ainsi que leurs membres tiennent à exprimer leur gratitude envers les autorités et services municipaux et cantonaux qui, en nous octroyant leurs appuis et autorisations, ont permis à la communauté turque et à leurs amis de célébrer cet événement dans la dignité et le recueillement.