Avant-propos
Cette année, alors que les relations sont tendues avec la Turquie, la Grèce commémore le bicentenaire du début de son insurrection de 1821 qui conduisit à l’indépendance de la Grèce face à l’empire ottoman deux ans plus tard.
La presse s’en est fait l’échos, généralement d’une façon incomplète, voire partiale comme ce fut le cas pour le quotidien Le Temps qui consacra une série d’articles intitulée “la Grèce, passion européenne” et dont le deuxième volet — « Derrière la Sublime Porte, le tyran ottoman » — donne néanmoins une vision pour le moins sélective de la révolte grecque de 1821 et de ses suites. Notre demande de voir notre réponse être publiée par Le Temps est toujours pendante.
De l’élan romantique philhellène à la confrontation des réalités des crimes récurrents des insurgés grecs
S’il est tout à fait logique de parler de l’élan romantique en faveur des Grecs, encore aurait-il fallu citer ceux qui, à l’époque, furent les témoins des crimes commis par les insurgés grecs.
En mars-avril 1821, commençait la révolte grecque, qui s’est traduite dès ce premier mois par l’extermination d’environ vingt mille musulmans (Turcs et, plus encore, Grecs convertis) [1]. Puis, elle s’étendit, notamment, en faisant le siège de Tripoli (Tripolizza), alors capitale ottomane du Péloponnèse.
Il y a tout juste deux-cents ans, le 23 septembre 1821, cette ville est tombée faute de vivre. Les vainqueurs massacrèrent au moins douze mille musulmans et juifs. À cette occasion, nous partageons sur notre site le témoignage essentiel de Louis de Bollmann, officier prussien engagé volontaire auprès des révoltés, démissionnaire après la prise de Tripoli. Déjà déçu par l’indiscipline des combattants grecs, il fut horrifié par leur barbarie. A ce sujet, nous tenons à remercier l’historien français Maxime Gauin, spécialiste de l’histoire ottomane tardive, qui nous a envoyé le PDF de ce livret.
Voici les principaux passages :
Page 3 :
Jeunesse européenne, les Grecs d’autrefois n’existent plus ; l’aveugle ignorance a succédé à Solon, à Socrate, à Démosthène, et la barbarie a remplacé les sages lois d’Athènes.
Sans doute est-il beau de combattre pour la liberté, mais n’est-ce pas l’acheter bien chèrement que de l’acquérir par la destruction du genre humain ? Si les Grecs l’obtiennent en combattant loyalement, en respectant le malheur d’un ennemi vaincu, l’Europe les admirera ; mais si la soif du sang ottoman, si l’affreux plaisir qu’ils prennent à piller, poignarder et brûler tous les êtres innocents qui tombent entre leurs mains, femmes, enfants, vieillards, continuent d’être leur principal mobile, l’histoire les jugera ; leur cupidité, leurs cruautés inouïes, terniront pour toujours la gloire de leurs aïeux. »
Pages 9-11 :
Avant l’assaut de cette ville [Tripoli/Tripolizza], les Turcs, forcés par la famine, avaient proposé une capitulation qui était déjà acceptée par les Grecs ; mais les Maniotes [insurgés grecs], qui craignaient de voir échapper une proie qu’ils regardaient comme certaine, forcèrent leurs chefs et Colocotroni (ndrl : Theódoros Kolokotrónis) même à rejeter toute proposition et à prendre la ville par un coup de main ; cette tentative ayant réussi, tout ce qui était musulman fut massacré par les féroces vainqueurs, et afin d’éterniser ce carnage, on construisit devant la porte de la ville par laquelle les assaillants entrèrent une église en mémoire de cet événement ; ce monument dont l’ordonnance est du plus mauvais goût, sans architecture, paraît plutôt être destiné à une brasserie qu’à un temple dédié au dieu de Paix et de Miséricorde. […]
Nous avons été témoins de l’assassinat de plusieurs familles, qu’on ne sacrifiait que pour les dépouiller ; voici un fait particulier qui mérite d’être rapporté : une famille turque fut surprise par des Grecs dans des caves, où elle s’était retirée ; à peine ces brigands commençaient-ils à poignarder leurs victimes qu’un médecin allemand, accompagné de quelques francs [probablement au sens de « courageux »] de nos camarades, accoururent au bruit et parvinrent à force de fermeté à faire prendre la fuite aux assassins avant qu’ils eussent entièrement consommé leur forfait ; le libérateur de ces infortunés s’empressa ensuite de panser leurs blessures.
Croirait-on que cet acte de courage et d’humanité nous occasionna des reproches de la part du gouvernement [grec], qui nous accusa de prendre le parti des Turcs ? Un capitaine français, de nos camarades, fut chargé de porter notre réponse au Sénat [grec] et de lui notifier en même temps que désirions retourner dans notre patrie, proposition qui fut rejetée, mais qui ne nous empêcha pas de recevoir dans notre loge, le lendemain, trente-sept femmes et enfants fuyant le poignard des Grecs ; nous les cachâmes dans le jardin, derrière la maison que nous habitions, partageant avec eux notre ration […] »
Puis, à la page 15 :
J’ai été témoin d’un autre trait de barbarie encore plus affreux : je me trouvais avec plusieurs de mes camarades dans une ci-devant école tur[que], à présent auberge italienne, lorsqu’un bruit confus vint frapper nos organes ; attirés par la curiosité, nous vîmes une famille turque de cinq personnes, le père, la mère et les trois enfants, des plus intéressants, au milieu d’une troupe de 2 ou 300 cannibales ; les Grecs voulaient à toute force de l’argent de ces malheureux, mais les infortunés n’en avaient point, d’ailleurs, en eussent-ils donnés, la rage des assassins n’était point assouvie, c’est du sang qu’il leur faut ; bientôt, un bûcher est préparé, le père, la mère et les enfants sont déshabillés, y sont placés de manière à pouvoir se regarder souffrir ; les Grecs n’attisaient le feu que peu à peu, de manière à retarder le moment du trépas ; ce supplice a duré plusieurs heures, pendant lesquels les enfants seuls ont fait entendre quelques gémissements ; le père et la mère se sont constamment considérés avec un rare courage, mais ils n’ont jamais pu jeter les yeux sur leurs enfants.
Je pourrais rapporter mille autres crimes de cette nature, qui ont été commis sous mes yeux, mais mon âme trop émue de ces sanglants souvenirs, a besoin d’un moment de repos. »
Epilogue
Louis de Bollmann est loin d’être un cas unique : les anciens volontaires européens furent « souvent disqualifiés par l’opinion [de leurs pays d’origine] au moins autant que portés au pinacle – en particulier leur témoignage sur les atrocités commises par les Grecs, que l’axiologie dominante refusa systématiquement d’entendre et d’accréditer [2]. »
C’est ainsi, qu’en guise de conclusion, nous citerons le Vice-amiral Jurien de la Gravière, un philhellène revendiqué, qui, quelques années plus tard, s’exprimera en ces termes sur les tout premiers massacres de cette guerre :
Les propriétaires timariotes [turcs] se virent subitement attaqués et attaqués sur tous les points à la fois ; ils furent frappés sans merci, dépouillés sans remords. En moins d’un mois [mars-avril 1821] une population de vingt mille âmes avait disparu. L’extermination, assure-t-on, fut préméditée ; elle entrait dans les plans et dans les calculs de l’hétairie. Hommes, femmes, enfants, l’éruption du volcan n’avait rien épargné. Trois mille fermes au moins étaient réduites en cendres, des villages naguère florissants n’offraient plus que des monceaux de ruines, et sur ces débris les Klephtes agenouillés unissaient leur voix à celle des popes pour célébrer un si rapide et si complet triomphe.” »
Vice-amiral Jurien de la Gravière,
La Station du Levant, Paris, Plon, 1876, tome I, p. 75
Exactement un siècle après les massacres de Tripolizza, l’Histoire se répétera, cette fois-ci lors de l’occupation de ce qui restait de l’Empire ottoman par l’armée hellénique épaulée par des irréguliers grecs d’Anatolie et des volontaires arméniens : avec une cruauté sans égale, elle s’acharnera, dès 1919, sur les populations civiles turques dont le calvaire prendra fin avec la victoire du 30 août 1922 sur les forces d’invasion grecques.
Pour nos amis turcophones, nous leur suggérons de lire le reportage donné à la Radio Télévision Turque (TRT) par le Pr. Dr. Ali Fuat Örenç, spécialiste de la question et enseignant à la faculté d’histoire de l’université d’Istanbul.
Références
[1] Vice-amiral Jurien de la Gravière, La Station du Levant, Paris, Plon, 1876, tome I, p. 75 ; William St Clair, That Greece might Still be Free. The Philhellenes in the War of Independence, Cambridge, OpenBook, 2008, p. 1.
[2] Franck Laurent, compte-rendu d’Hervé MAZUREL, Vertiges de la guerre. Byron, les philhellènes et le mirage grec, Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 50, 2015, https://journals.openedition.org/rh19/4848